Article Furet 107 : La construction de l’identité de genre
Québec // Développement de l’enfant // Un article de Julie Pinel (paru dans le dossier du Furet N°107 (décembre 2022)
“IDENTITÉ DE GENRE et petite enfance – le fragile équilibre de l’arc-en-ciel” (d’un clic ->En lire +)
LE GENRE EST LA PREMIÈRE CATÉGORIE SOCIALE À LAQUELLE L’ENFANT APPARTIENT (1) ET CETTE CATÉGORISATION EST SUSCEPTIBLE D’INFLUENCER SA SOCIALISATION ET SON DÉVELOPPEMENT, NOTAMMENT PAR LA CONSTRUCTION DE SON IDENTITÉ DE GENRE.
L’annonce d’une grossesse est un moment de joie pour la plupart des couples et leur souhait premier est d’avoir un enfant en bonne santé. Une autre préoccupation des parents concerne le sexe de l’enfant à venir. À la naissance, les premières paroles prononcées confirment le sexe de ce dernier : « C’est une fille !, C’est un garçon ! ».
Construction de l’identité de genre
L’enfant construira sa propre identité de genre au fil de son développement sous l’influence de quatre facteurs : les facteurs biologiques, cognitifs, sociaux et affectifs (2).
Les facteurs biologiques
Biologiquement, on note des différences entre les filles et les garçons. Les deux sexes possèdent des organes génitaux et des systèmes hormonaux liés à la reproduction différents. Cependant, les recherches montrent que les caractéristiques biologiques spécifiques ne peuvent expliquer l’ensemble des différences entre les filles et les garçons au sein de la société. La construction de l’identité de genre de l’enfant doit tenir compte d’autres facteurs.
Les facteurs cognitifs
Sur le plan cognitif, l’enfant construit son identité de genre en trois étapes (3). Entre 18 et 24 mois, il comprend qu’il est une fille ou un garçon, sans pour autant faire de lien avec son sexe biologique. L’enfant n’a pas encore conscience de la stabilité du sexe. Il se trouve au stade de l’identité de genre. Entre 3 et 6 ans, c’est le stade de la stabilité de genre, les caractéristiques sociales sont alors très importantes pour l’enfant, ce sont elles qui définissent le genre d’un individu. Ainsi, lorsque l’enfant voit une personne aux cheveux courts qui porte un pantalon et des souliers plats, il est plus susceptible de l’identifier comme homme. Si la personne se change devant lui et enfile des souliers à talons hauts et une robe, sur la base de ces nouvelles caractéristiques sociales, l’enfant l’identifiera comme une femme. À ce stade, on note parfois une certaine rigidité quant à la transgression des rôles de genre pour lui-même comme pour les autres. L’enfant peut alors refuser de participer à certaines activités qui, selon lui, ne correspondent pas à son genre. Pour les mêmes raisons, il peut réagir fortement face à une personne qui transgresse les règles de genre.
C’est à ce stade que l’enfant constituera des schémas de genre (4). En fonction des réponses données à ses comportements, il classera les informations reçues en deux schémas : le « schéma général » incluant les informations de ce qu’il considère comme féminin et masculin, et le « schéma associé à son propre genre », regroupant ce qu’il considère un comportement propre à son genre.
Finalement, entre 6 et 7 ans, l’enfant atteint le stade de la constance de genre, où il comprend qu’être fille ou garçon est lié au sexe biologique qu’il ne peut changer. L’enfant développera une certaine flexibilité face aux transgressions de rôles de genre, puisqu’il comprend que celui-ci est défini par les caractéristiques sociales.
Les facteurs sociaux
Le processus de schématisation genrée de l’enfant est aussi teinté par la socialisation des divers environnements de vie qu’il fréquente. Par l’observation de ses différents milieux de vie, prendra forme le modelage qui lui permettra d’identifier les règles et les structures sous-jacentes et d’être en mesure de les reproduire dans d’autres situations (5). Par exemple, une famille où le partage des tâches est genré exerce son influence sur les enfants dans leur rapport aux autres. La jeune fille peut reproduire des comportements s’apparentant à ceux de la mère, et le jeune garçon peut adopter les comportements du père.
Plus tard, l’enfant observera non seulement, les réactions à ses propres comportements, mais aussi aux comportements des autres. Les encouragements manifestés en réponse à certains de ses comportements ou à ceux des enfants de l’autre sexe lui permettront de comprendre les attentes de son entourage en fonction du genre. Ce processus que l’on appelle l’enseignement propre de l’enfant l’amènera à intégrer ces réponses dans ses schémas de genre (6).
Finalement, toutes les généralisations liées au genre peuvent avoir une incidence sur la perception que les enfants se font des rôles sociaux de genre. Ainsi, dire que les filles sont calmes et que les garçons sont turbulents sont des généralisations qui peuvent influencer la classification, par les enfants, dans leur schéma de genre. Il s’agit ici du processus de l’enseignement direct (7).
Facteurs affectifs
Dans la construction de l’identité sexuée, l’enfant est aussi actif. Il peut choisir de ne pas intégrer dans son schéma de genre certains comportements liés à son propre sexe si ce type de comportement ne lui convient pas. Néanmoins, il faut souligner que pour choisir une information contre-stéréotypée, l’enfant doit faire des efforts plus importants8.
Donner des chances égales de se réaliser
En somme, les différents milieux dans lesquels évolue l’enfant peuvent exercer une influence sur sa perception du genre et des rôles associés. Comme cette construction débute tôt dans la vie des enfants, les services éducatifs à la petite enfance ont un rôle important à jouer dans cette construction. Ils devraient être exempts de stéréotypes de genre et proposer des exemples contre-stéréotypés afin de donner à tous les enfants, des chances égales de se réaliser.
Comme cette construction débute tôt dans la vie des enfants, les services éducatifs à la petite enfance ont un rôle important à jouer dans cette construction. Ils devraient être exempts de stéréotypes de genre et proposer des exemples contre-stéréotypés afin de donner à tous les enfants, des chances égales de se réaliser.
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Maitrise en éducation
Julie Pinel
Photographie
©Canva
Notes
1 // Coulon (2008)
2 // Chiland (2003)
3 // Kohlberg (1966)
4 // Martin et Halverson (1981)
5 // Bussey et Bandura (1999)
6 // Bussey et Bandura (1999)
7 // Bussey et Bandura (1999)
8 // Ellemers (2018)
Publications Papier Numériques
Bibliographie
- Bussey, K. et Bandura, A., 1999. Social cognitive theory of gender development and differentiation. Psychological Review, 106(4), 676-713. https://doi.org/10.1037/0033-295x.106.4.676
- Chiland, C., 2003. Le transsexualisme. Presse Universitaires de France.
- Coulon, N., 2008. Filles-garçons. Construire l’égalité dès la petite enfance. DansG Boubault (Dir.). Petite enfance : pratiques d’éducation non violente (p. 16-18). Non-violence Actualité.
- Ellemers, N., 2018. Gender Stereotypes. Annual Review of Psychology, 1 ,275-https://doi.org/10.1146/annurev-psych-122216-011719
- Kohlberg, L., 1966. A cognitive-developmental analysis of children’s sex-role concepts and attitudes. Dans E. E. Maccoby (Dir.) : The development of sex differences (p. 82-173). Standford University Press.
- Martin, C. L. et Halverson Jr, C. F., 1981. A Schematic Processing Model of Sex Typing and Stereotyping in Children. Child Development, 4, 1119-1134. https://doi.org/10.2307/1129498